A première vue, ce sportif professionnel de tennis, squash et jeu de paume (y a des professionnels ?) reconverti en écrivain spécialiste de la sensibilité féminine comme se targue d'être l'auteur (Denis Grozdanovitch, jamais entendu parler ni en tant que sportif ni en tant qu'écrivain, et pas seulement parce que son nom est imprononçable) dès la quatrième de couverture, ça laisse dubitative... on n'y croit guère. Encore un bouquin machiste, croulant sous la testostérone, d'un tombeur de dames quinquagénaire narrant avec nostalgie et la plus grande élégance (comme toujours en la matière...) le comment, où et pourquoi de son tableau de chasse de conquêtes féminines ! Et bien non, mesdemoiselles, mesdames ! Les fiches de lecture, ça sert à ça. Dénicher pour vos beaux yeux incrédules chères lectrices, au milieu d'une montagne de navets, la perle rare qui nous séduira par son style tant que par ses idées, sa poésie, ce regard mi-timide, mi-inquiet, mi-dévot (je sais, ça fait 3 demi, un regard et demi quoi, mais nous le valons bien) sur LES Femmes.
Merveilleusement écrit, langue déliée, raffinée, sensible, précise, suggestive, ce petit livre s'engloutit d'une traite. Ou se déguste page après page. Et nous laisse songeuse. Songeuse face à ce regard masculin découvrant et nous faisant découvrir chapitre après chapitre, comme autant de portraits de femmes, de rencontres, l'éternel féminin. On y allait à reculons, mais dès le préambule, le regard généreux et singulier est posé avec cette citation de G.K. Chesterton : " La raison pour laquelle les hommes ont, depuis l'origine de la littérature, parlé des femmes comme si elles étaient plus ou moins folles est simplement que les femmes sont naturelles, et les hommes avec leurs théories, très artificiels ". Bien, bon début. Mais encore ? La citation est facile, l'art est difficile... Mais encore... l'auteur mouille son tee-shirt dès la note d'introduction où il confie ce sentiment qui l'étreignit lors d'une visite, jeune-homme, du musée du Prado. Une toile de Goya. Un groupe de jeune-filles s'amusant dans un parc à rattraper dans un drap un pantin désarticulé " vêtu à la manière des gandins élégants de l'époque "... L'expression de ce dernier au plus haut de la pirouette se partage entre satisfaction conquérante (" Toutes ces donzelles rien que pour moi ! Trop fort ! ") et le ravissement un peu niais où pointe une lueur d'inquiétude ! Cette image évoque pour l'auteur l'éternel rapport de force entre les sexes et pose " avec une ironie mordante la question de savoir, au bout du compte, qui mène le jeu " ! Et oui....
S'en suit une cosmogonie toute personnelle de grandes figures féminines croisées au détour d'une vie. Au tableau de chasse de ce séducteur ayant au moins le mérite d'avouer ses stratégies de séduction amoureuses un peu ridicules, un peu paresseuses, comme il le concède honnêtement (lui !) tout au long de ses récits, beaucoup d'inconnues frôlées ça et là, se laissant apprivoiser un instant avant de s'envoler vers d'autres cieux, d'autres bras... une sublime argentine étudiante à la Sorbonne, Perla Miltwitzky, un regard de grande prêtresse égyptienne croisé dans un autobus relevant dans un savoureux dialogue cette " étrange propension des hommes à en passer par un regard extérieur dans leurs fantasmes érotiques ! ", une déesse endormie en Côte d'Ivoire, une Alice au Pays des Merveilles dans une version personnelle toute... freudienne, une sirène éthologue frôlée devant un aquarium l'initiant, non sans cruauté, au concept de " néotonie ", bizarrerie darwinienne de certaines espèces aquatiques dont ces Xolotls mexicains (du nom du Dieu aztèque du jeu...), mi-poisson, mi-batracien, ayant choisi de ne pas poursuivre leur évolution, conservant toute leur vie des caractères physiques juvéniles, refusant de devenir adultes et restant têtards au fin fond de leur monde amphibie ! La métaphore est habile et ne manquera pas de rappeler à votre auguste mémoire certains spécimens de la race humaine, masculins essentiellement, croisés ça et là au détour de vos (nos) vies amoureuses...
On appréciera le fait que l'auteur nous épargne une suite logique et chronologique de ses ébats amoureux vécus comme autant de rites de passage des premiers émois de l'adolescence à l'âge émotionnel adulte. Non, c'est sans logique apparente qu'il égraine au fil des pages et des histoires écrites comme une successions de nouvelles, le récit des émotions et sentiments du jeune-homme qu'il fut (et reste, aussi, encore, pour notre grand bonheur) et de ses premières amours, à ses coups de cœur d'homme mature sans hiérarchie aucune, sans jugement moral, avec juste la pointe de nostalgie qu'il convient.
Pour conclure, cet échange entre le narrateur et l'une de ses héroïnes (éthologue spécialiste des Xotols) l'enjoignant à le rejoindre après quelques jours de parade amoureuse pour leur premier accouplement dans une mer déchaînée par la tempête, résumant à lui seul l'intérêt de ce récit à lire entre les lignes comme un conte philosophique :
" - La vérité est que je nage très mal !
- Quelle importance ? Je nage assez bien pour deux ! N'as-tu pas envie de te réfugier dans mes bras ? dit-elle, rendue apparemment plus aguicheuse par mes hésitations, et puis se noyer ensemble ne serait-il pas un destin sublime ?
- Sans doute, mais je n'ai pas fini de ranger ma bibliothèque par ordre alphabétique, dis-je. (...) Je ne suis qu'un aventurier en chambre, j'ai besoin de ma tasse de thé pour vivre pleinement les péripéties.
A cet instant, quelque chose dans le ton de ma voix lui fit vraisemblablement comprendre qu'elle ne parviendrait pas à me décider ; une expression de fureur, presque de rage, déforma son visage au point de le rendre méconnaissable. Je frémis de la comparaison qui venait de s'imposer à mon esprit : c'était le visage d'une méduse ! (...)
-Tu n'as rien d'un risque tout, n'est-ce pas ?
- Pas trop non... Je ne m'aventure qu'en imagination, cela me permet d'échapper aux désagréments des évènements véritables.
- Tu fais peut-être un bon choix, après tout ! J'essaierai de repérer les énergumènes dans ton genre à l'avenir... dit-elle de façon énigmatique. Parfait ! Et bien, adieu ! Cher triton d'eau douce, je te laisse à tes fantasmes d'aquarium ! ".
Phrase mémorable à garder en mémoire et resservir à chaque fois que d'humeur médusienne, devant un aquarium ou pas, un de ces pleutres tritons d'eau douce se dégonflera lâchement au moment crucial après avoir vivement insisté pour nous faire la cour !
" Brefs aperçus sur l'éternel féminin ", Denis Grozdanovitch, Livre de poche, Points, 276 pages, 7,50 euros.
Où se le procurer ? www.fnac.com
Merci de me l'avoir fait découvrir autrement!!
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