Lectures au théâtre de « À la recherche du temps perdu » de Marcel Proust.
Faire le choix de lire en public des extraits de « À la recherche du temps perdu », de « La recherche » comme l'appellent familièrement les spécialistes, semble une entreprise si potentiellement protéiforme qu'elle pourrait paraître périlleuse. Tant l'œuvre romanesque de Marcel Proust est immense, elle-même multiforme et labyrinthique, depuis ses sept ouvrages écrits et publiés sur une vingtaine d'années (1907-1927), souvent remaniée par son auteur, et qui, au-delà des fluctuations de la mémoire affective du narrateur et du portrait social de la fin de ce XIXème siècle qui va se fracasser sur la Grande Guerre, embrasse des thèmes si universels que beaucoup considèrent qu'elle fonde le roman moderne, voire initie la poésie du XXème siècle.
Ainsi, au-delà de l'épisode bien connu des madeleines et des souvenances sensorielles qu'elles génèrent, Marcel Proust écrivait que son roman ne s'intéressait finalement pas tant à la simple mémoire du narrateur qu'à une réflexion universelle sur la littérature : « J'ai eu le malheur de commencer mon livre par le mot « je » et aussitôt on a cru que, au lieu de chercher à découvrir des lois générales, je m'analysais au sens individuel et détestable du mot ».
La lecture au théâtre d'instants choisis de « La recherche » aurait donc pu se perdre dans cet univers qui rompt avec la notion d'intrigue linéaire du roman classique. Mais l'intention est justement ici de transmettre aux spectateurs, aux auditeurs pourrait-on dire tant la mise en scène est avec bonheur minimaliste et laisse primer le texte (des pupitres pour une lecture quasi-statique, des lumières discrètes qui laissent leur place au noir et à l'imaginaire), ce que l'écrivain cherchait à rendre : la vérité de l'âme humaine, la vie en mouvement. Par la cocasserie et l'humour de portraits uniques, ces lectures forment une galerie, plutôt un kaléidoscope de personnages que l'on imagine évoluer dans les lieux du roman, symboliques, recréés, hors du temps. Personnages aristocratiques, bourgeois, ou au service de ceux-ci, dont les comportements premiers et souvent drôles voire comiques servent des réflexions sur l'amour, la jalousie, la vanité, le vide de l'existence, qui mènent finalement à la création, à l'art. Le tout évoque indéniablement la composition même du roman dont les thèmes tournent selon un plan musical et un jeu de correspondances poétique.
Ces lectures ont bien saisi la démarche de Proust : du particulier il tend à l'universel. A partir des facettes individuelles qu'il nous présente, il veut reconstituer le prisme de la réalité dans toutes ses dimensions, dans toutes ses perceptions possibles, tel un peintre impressionniste ou pointilliste pour lequel la réalité n'a de sens (au pluriel) qu'au travers des perceptions, réelles ou imaginaires, qu'en ont les différents sujets.
Finalement ces lectures de « La Recherche » rejoignent un peu l'idée du film de Raoul Ruiz « Le Temps retrouvé » (1999), où Marcel Proust à la fin de sa vie, feuillette avec nostalgie l'album de photographies du fil de son existence, et où ses personnages romanesques viennent peupler sa réalité, avec tendresse et humour. Et tel le narrateur de son roman, Marcel Proust, coupé du monde dans sa chambre capitonnée de liège aux portes fermées où il écrivit à corps perdu « À la recherche du temps perdu », a pris conscience, a « réalisé », son aptitude d'être écrivain, il s'est trouvé, il est devenu le réalisateur, celui qui fixe le temps perdu, retrouvé.
Du 20 Octobre 2009 au 28 Décembre 2009
Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère, 75009 Paris.
www.theatrelabruyere.com
Dimanche et lundi à 20h30
Lectures, en alternance et par ordre alphabétique, par Romane Bohringer, Xavier Gallais, Bernadette Laffont, Mickael Lonsdale, Robin Renucci, Nicolas Vaude.
En tournée en Province (Le Mans 10/11, Val de Reuil 20/11, Clermont-Ferrand 08/12, Pully en Suisse 12/12) avec Bernadette Lafont, Robin Renucci et Xavier Gallais.
L'univers de Marcel Proust sur www.fnac.com
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